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Enfants sages... Vigilance!

À l'heure où l'attention est portée sur les enfants qui bougent, remuent, chahutent et ont du mal à se concentrer (enfants assez vite taxés d'hyperactifs du coup!), il en est d'autres qui, eux, ravissent totalement les adultes par leur calme, leur obéissance, leurs bonnes notes et leur serviabilité : ces petits anges dont on dit « C'est un bonheur de l'avoir à la maison : on ne l'entend pas ! », ou encore : « Quel amour ! Il ne pose jamais de problèmes lui ! »

Certes. Mais c'est justement là qu'est le problème !

Explications...

Quand être sage n'est pas naturel...

Il y a des enfants plus calmes et plus sages que d'autres : question de tempérament, d'âge, de situations familiales, etc. Un enfant sage de nature va avoir une « dominante » sage, mais sera capable à certains moments de manifester d'autres attitudes, comme une bouderie, un énorme fou rire, une colère ou encore une crise de larmes. Il reste un enfant « vivant », animé, avec une palette d'expressions émotionnelles variées.

 

D'autres en revanche sont sages (bien trop si on les observe bien !), mais non de façon spontanée et naturelle, mais par un mécanisme d'hyper-adaptation à l'autre ou à une situation.

Quelques exemples pour mieux comprendre :

  • Pour protéger un parent fragilisé (ou les deux) par une dépression, un passage à vide, une maladie, etc. Afin de ne pas « réveiller » ou provoquer les pleurs de maman par exemple, ou la douleur chronique de papa. « Je vais être la plus gentille possible, ne pas poser de problèmes »... On trouve ici notamment les aînés missionnés par le parent fragilisé pour s'occuper des frères et sœurs, bref, pour faire l'adulte...

  • Pour essayer de trouver une place dans la fratrie et être vu, donc aimé : face à un frère « insupportable », ne foutant rien à l'école, et accaparant toute l'attention des parents épuisés, une sœur (ou un frère) peut se mettre à investir le modèle inverse : l'enfant parfait, toujours des bonnes notes, jamais de bêtises, etc... Egalement lorsqu'un des enfants de la fratrie est par exemple handicapé, ou gravement malade. L'autre enfant s'efface derrière le masque « adorable » pour ne pas rajouter de poids aux parents...

  • Pour gratifier et rassurer un parent insécure: l'enfant va répondre inconsciemment au désir de son parent d'avoir un enfant exemplaire et donc parfait, ce qui le rassure sur le fait qu'il est un parent formidable (vu qu'il a créé une merveille!...)

  • Pour éviter les punitions, la violence d'un parent : « Quand papa est en colère il tape (ou cogne carrément), je vais donc tout faire pour être le plus irréprochable possible, et ainsi éviter de me faire gronder et taper »...

L'hyper-adaptation : un renoncement à soi-même.

Comment donc un bambin fait-il pour se transformer ainsi en enfant « parfait », mais parfaitement en souffrance si l'on regarde sous le masque ?

Et bien il se coupe de lui-même, de son élan de vie naturel, de ses besoins et de ses envies, pour faire tout ce qu'il sent/pense qu'on attend de lui.

Sa quête fondamentale (comme celle de tous les enfants!) est d'être aimé. Alors s'il y a des conditions à cela, il va s'y plier.

En Psy, on appelle cela hyper-adaptation, ou bien construction en « faux-self » (faux Moi).

C'est un peu comme si l'enfant retirait son habit d'enfant, y renonçait et le rangeait dans un placard, puis se mettait à revêtir un habit fait de toutes les différentes choses qu'on attend de lui, qu'on lui demande d'être (de façon explicite ou implicite).

L'enfant sage dans ce cas est juste un enfant vidé de lui-même. Une petite poupée qui ravit toujours son entourage, un gentil petit garçon qui ne fait pas de bruit, bref : un non-enfant, mais tellement gratifiant pour les adultes...

 

Ces enfants sont ainsi des enfants qu'on oublie. Ils ne se font pas remarquer, ou alors, que dans le "positif" ! Bonnes notes, aide « spontanée » pour mettre la table, bouquet de fleurs offert à maman, télécommande amenée à papa, et ce « miracle » absolu : ils peuvent jouer des heures entières seuls dans leur chambre, ou en vacances par exemple, sans faire de bruit, sans causer le moindre dérangement, sans formuler la moindre demande...

 

Ce qu'on oublie, c'est alors L'ENFANT en eux. Celui qui s'est éteint à défaut de pouvoir s'exprimer librement. Celui qui n'est pas heureux, alors qu'il fait tout pour rendre les autres heureux, les satisfaire. Celui qui pleure sans larmes, parce qu'un enfant sage et gentil, ça pleure pas, ça sourit poliment...

Les souffrances fondamentales des enfants trop sages

Le message que l'enfant trop sage a intégré pourrait se résumer à : « Pour avoir de l'amour, il y a des conditions : si je n'y réponds pas, je serais rejeté, voire abandonné ».

Il y a ainsi chez ces enfants des souffrances qui, si la situation perdure, peuvent devenir importantes :

  • Une forte angoisse sous-jacente : angoisse d'être non-aimé et donc délaissé, mais aussi angoisse de décevoir, de faire de la peine, de causer des soucis, de ne pas être assez bien, etc.

  • Avec ces angoisses, bien évidemment on retrouve Dame culpabilité ! Si maman s'effondre ce sera de ma faute puisque c'est que je n'aurais pas été sage. Si papa se met en colère, pareil. S'il arrive quelque chose à mon frère malade, ce sera aussi de ma faute, parce que j'aurais pas été assez parfait pour que papa/maman puisse s'occuper tranquillement de lui. En somme : « Si je ne suis pas sage comme il faut, c'est que je ne suis pas assez gentil, parfait (et j'en passe!), et donc, c'est de ma faute..."

  • Des affects dépressifs : forcément, avec ce type de pensées de fond, l'image de soi-même et donc l'estime de soi-même ne peut être qu'abîmée, souvent profondément. De plus, les gratifications reçues étant destinées au joli costume parfait porté par l'enfant et non à qui il est en vrai, son Moi profond n'est pas investi, encore moins fortifié. D'où la tristesse, le plus souvent cachée et ravalée...

  • Et tout simplement, la souffrance de voir les autres enfants crier, faire du bruit, du ramdam, des bêtises, des blagues, tirer la langue à maman, faire une grimace à la maîtresse quand elle a le dos tourner, rire à gorge déployée... Bref, voir des enfants qui ont le droit d'être des enfants, librement.

Que faire ?

Il est important d'être attentif aux enfants dont on a tendance à « oublier » leur présence. C'est tout simplement antinomique avec la réalité même de l'enfance !

Lorsqu'on remarque un enfant trop sage, il va s'agir d'observer son comportement, ses expressions, ses attitudes. Souvent alors on va se rendre compte du côté figé, effacé de sa vraie nature d'enfant. Il va également la plupart du temps donner l'impression d'un « mini-adulte » tout tristoune...

 

Il s'agit ensuite de comprendre pourquoi s'est mise en place cette hyper-adaptation. A-t-on en effet délaissé l'enfant depuis quelques temps, parce qu'un autre prend toute la place ? A-t-on tendance à se décharger sur lui des difficultés qu'on a du mal à assumer, a-t-il pu avoir peur de notre passage à vide suite à notre licenciement par exemple ? Si c'est hors de la famille, est-ce un enfant qui évolue dans un climat familial hyper-autoritaire, voire maltraitant ? Ou est-ce un enfant avec un parent dépressif qui s'enlise ? Etc.

 

Une fois l'origine détectée, il va falloir permettre à l'enfant de redevenir qui il est. D'enlever son costume. Pour cela, réinvestir totalement l'enfant qu'il est, ses désirs, besoins, et envies propres. Aller les (re)découvrir, les explorer. Lui dire qu'on a fait une erreur, et qu'il n'a pas à changer qui il est pour nous protéger, ou pour être aimé. L'enfant s'étant souvent hyper-adapté, il ne va pas lâcher comme ça son costume, la peur de blesser ou décevoir allant poindre le bout de son nez ! Il faudra un peu de temps...

Une chose qui aide aussi, c'est de tendre des perches en parlant de ce que nous, adultes, avons ressenti. Exemple: "Quand ton frère nous a fait sa période de crises il y a deux ans, je te cache pas qu'on était inquiets, mais tu sais quoi, il y a des fois il m'énervait! Parce que j'aurais bien aimé avoir plus de temps avec toi. ça t'a pas énervé toi ?"... Vous lui donnez ainsi le droit de dire, sans passer pour un méchant.

Il va également s'agir de montrer à l'enfant son droit absolu à l'imperfection ! Et pour cela, montrer l'exemple ! Montrer que se tromper, c'est pas grave. L'autre fois maman a bien cramé le rôti, et au final, c'était presque rigolo ! Le réassurer sur le fait qu'il est formidable imparfait. Et qu'on l'aime ainsi...

 

Si l'enfant en question évolue dans un entourage brinquebalant qui génère, consciemment ou inconsciemment cette attitude chez lui, pouvoir parler avec la famille, pointer quelques petites choses, et l'amener à modifier la donne, bien évidemment, c'est le top ! (Je pense ici aux instits, aux nounous, aux professionnels de la petite enfance, mais aussi aux parents dont le copain/la copine de leur enfant a cette attitude...).

Mais parfois c'est compliqué : le champs d'action est limité. Alors, dans le lien spécifique que l'on a avec l'enfant, lui donner la liberté d'être autrement qu'à la maison, le reconnaître en tant qu'enfant qui a le droit de vivre et d'exprimer son enfance, c'est une porte qu'on lui ouvre sur son petit Moi intérieur, et qui lui permettra de garder contact avec sa vraie nature, et de ne pas confondre son habit et lui-même...

 

 

On dit que la sagesse vient avec les années...

Un enfant n'a donc pas à être sage : il a à être et vivre l'Enfance.

©cestpsysimple.mars2018

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