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Scarifications : les traces de la souffrance

Dans un récent article du Figaro-santé sur la santé mentale des enfants et des adolescents *, les professionnels notent une augmentation de 300% en 20 ans des comportements de scarifications chez les jeunes...

Mal-être, dépression, ou bien encore dégoût de soi viennent ainsi s'inscrire sur la peau à l'aide de compas, de cutter, ou autres. Le mal est bien là, mais les mots font défaut, et ces scarifications viennent parler à leur place.

Que veulent-elles dire ? Et comment réagir ?

Scarification : qu'est-ce que c'est ?

La scarification concerne le fait de s'entailler la peau, de l'inciser, à l'aide d'un objet pointu, tranchant. Cette atteinte de la peau peut aussi être faite par l'utilisation d'objets abrasifs pour la frotter et la mettre à vif, ou bien, plus rarement, par brûlures.

La plupart du temps, les jeunes les font sur les poignets, les bras, les mains. Mais dans les cas les plus graves, d'autres parties du corps peuvent être touchées, comme le ventre, le cou, voire même le visage.

On note que cette pratique est plus fréquente chez les filles que chez les garçons, et principalement entre 13 et 18 ans.

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Les scarifications peuvent être faites de façon ponctuelle et impulsive, ou bien s’inscrire dans une sorte de rituel, répété et méticuleux, seul et à l'abris des regards.

Parmi les déclencheurs de ce comportement, on retrouve souvent des éléments dépressifs, une image de soi négative, un rejet du corps, ou encore une culpabilité avec retournement de l'agressivité contre soi. Mais il peut aussi y avoir des déclencheurs plus graves comme des abus sexuels : le corps abîmé par l'autre devient un corps haï à faire souffrir.

L'attention et la vigilance sont donc de mise.

Paradoxe 1 :

se faire mal pour faire taire le mal

La scarification a ce paradoxe d'utiliser la douleur pour faire taire la douleur. Qu'est-ce que ça veut dire ?

En proie à des angoisses intérieures, à des émotions douloureuses et diffuses que le jeune a la sensation de subir et face auxquelles il se sent totalement impuissant, il va chercher à contrôler cette souffrance en devenant l'acteur d'une autre souffrance : cette entaille, visible, localisée, qui a un début et une fin.

Cet éprouvé douloureux lors de la réalisation de la scarification donne au jeune la sensation de maîtriser pour un temps sa souffrance intérieure. Elle est comme un soulagement, faisant apparaître sur soi ce qui ronge en soi. Elle donne une forme là où le jeune n'arrive pas à donner sens (et donc forme) à son ressenti interne.

 

Un exemple pour mieux comprendre : il est des adultes qui ont tellement peur du dentiste, qu'une fois que le soin commence, par peur de la douleur ils se pincent la main pour créer une douleur ailleurs, attirer leur attention et se concentrer sur ce pincement qu'ils contrôlent, à un moment où ils se retrouvent dans l'angoisse du non contrôle : ce que va faire le dentiste...

Paradoxe 2 :

cacher / montrer

Il y a un autre paradoxe dans les scarifications : le jeune les fait souvent en cachette, dans un espace-temps de lui à lui. Pourtant, les différentes options qu'ils trouvent pour masquer ses entailles (manches trop longues, mitaines, bandes etc) sont une façon de montrer la zone corporelle abîmée, d'attirer l’œil de l'autre.

Dans cette dynamique, le jeune cherche souvent à mettre hors de soi, sur soi, de façon visible, la part de son être qui le fait souffrir, tout en souhaitant dissimuler cette part de lui-même qu'il rejette, mais en lançant malgré tout un appel à l'aide... dissimulé.

 

"Je marque ma souffrance sur mon corps pour essayer de m'en soulager, mais elle revient sans cesse : je me sens seul avec et désespéré avec, alors je vais essayer de montrer que je dissimule quelque chose pour qu'on m'aide".

 

La scarification est ainsi une façon de dire sans dire, de montrer sans montrer. C'est comme un détournement. Mais à l'origine il y a cette souffrance qui ne trouve pas le chemin de la parole pour s'exprimer. Qui ne peut être comprise par manque de sens, de représentations. La douleur psychique est diffuse, perturbante. La douleur physique a cet avantage d'être localisée ; la scarification d'être contrôlée.

Ainsi, au lieu que ce soit les mots qui sortent et soulagent, ce sont les traits sur la peau, comme des lignes, des signes à décoder par l'autre. Et les petites gouttes de sang, comme des larmes qui ne sortent pas autrement...

Que faire ?

Lorsque les parents découvrent que leur enfant se scarifie, il y a très souvent une grande angoisse chez eux ainsi qu'une culpabilité : qu'avons-nous raté, pourquoi notre enfant se fait-il mal au lieu de nous parler ? Pourquoi n'avons-nous rien vu ?

L'important est d'essayer de ne pas se laisser happer par l'angoisse et de ne pas focaliser sur les scarifications en elles-mêmes, mais de bien comprendre qu'elles sont la partie rendue visible d'un mal être psychologique.

Pouvoir ainsi dire à votre enfant que vous voyez bien qu'il y a quelque chose qui le fait souffrir s'il se fait du mal (sans l'obliger à vous montrer tous les jours s'il a recommencé...) et entamer un dialogue pour essayer de comprendre l'origine de cette souffrance est important. Lui pointer que s'il fait ça c'est que quelque chose le perturbe, et qu'il y a des possibilités de l'aider.

Souvent cependant le jeune va refuser de vous parler à vous, dans une tentative d'affirmer son autonomie et son impression de contrôle de la situation. (La scarification étant aussi souvent chez le jeune une tentative de "couper" le cordon...)

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C'est pourquoi il faut consulter, pour qu'un tiers puisse aider le jeune à mettre des mots sur ses ressentis plutôt que des entailles, dans un espace à lui... secret.

Et le psychologue sera à même de pouvoir retrouver avec le jeune la souffrance qui est à l'origine de ce comportement, et l'aider à trouver une autre façon de la gérer, et donc d'en sortir peu à peu.

C'est d'autant plus important de demander l'aide d'un professionnel que s'il perdure dans le temps, ce comportement peut s'intensifier, mais surtout laisser le jeune dans sa situation de souffrance psychologique qui va elle aussi d'augmenter.

Même si chez certains jeunes les scarifications sont de courte durée et parfois par effet de mode à tester via les réseaux sociaux, lorsqu'on sait que dans une enquête réalisée auprès d'élèves*, parmi ceux ayant déclaré avoir déjà fait une tentative de suicide les 3/4 avaient eu des antécédents de scarifications, on réalise mieux l'appel à l'aide qui s'exprime dans ce comportement lorsqu'il s'installe et surtout perdure, et donc l'importance de réagir.

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Pour mieux comprendre

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*Le Figaro

*Cairn

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