
Les enfants de remplacement
ou le drame des petits fantômes...
Il est des décès qui font plus mal que d'autres. Celui d'un enfant notamment. Lorsqu'il s'agit d'un bébé mort-né, d'un nourrisson ou d'un petit enfant, il arrive que face à l'intolérable souffrance, le désir de remplacer l'enfant perdu assaille inconsciemment l'esprit des parents, et qu'une nouvelle grossesse arrive vite. Mais l'enfant qui va venir pour compenser malgré lui la perte et le vide ressentis par ses parents, va se retrouver dans une position impossible : celle de devoir être l'autre parti, et non lui-même, ici.
Explications, notamment à travers l'histoire de Vincent Van Gogh.
Vincent Van Gogh

Vincent Van Gogh, peintre de génie, a eu plus de difficultés à mettre des couleurs dans sa vie personnelle que sur ses toiles. Et pour cause : il est l'illustration magistrale de ce que l'on appelle un « enfant de remplacement ».
Vincent Willem Van Gogh est en effet né un an jour pour jour après la mort de son frère (mort-né), dont le prénom était... Vincent Willem Van Gogh.
Le premier est mort-né le 30 mars 1852. Vincent naît le 30 mars 1853...
Pas besoin de s'y connaître en psychogénéalogie pour sentir la fulgurance de ce processus de remplacement !
Enfant, son anniversaire consistait à accompagner sa mère sur la tombe de ce frère ainé mort-né. Devant lui, sur la stèle, le même prénom, le même nom, et une seule date.
Le jour de sa naissance, et donc de son arrivée dans la vie, c'était à l'enfant mort qu'il était consacré.
Impossible d'être l'autre, celui dont sa mère n'a pas fait le deuil. Impossible d'être lui-même, puisque sa place a été parasitée par cet autre dès le début.
Dans sa vie, van Gogh n'aura de cesse de chercher une sorte de protection contre les hallucinations et autres troubles psychologiques qui l'assaillent auprès de son frère Théo, qui sera pour lui comme sa part vivante. Lui, Vincent, se vivra dans un entre-deux. Son refuge, la peinture, peut être alors envisagé comme un espace-temps hors du temps, hors de la réalité, où peut-être, sent-il que c'est là qu'il peut exister. Il est d'ailleurs intéressant de noter le mouvement incroyable présent dans ses toiles : mouvement de vie pour compenser le figement de mort dans lequel on l'a accueilli ?

Le rôle de l'enfant de remplacement
Face au deuil d'un petit enfant et à la terrible douleur qu'il engendre, certains parents vont « accepter » de prendre le temps du deuil et de laisser la souffrance s'exprimer avant de se relancer dans l'expérience d'une nouvelle naissance.
Mais parfois, le déni de la mort, son refus inconscient, amènent le ou les parents à faire comme ceux de Vincent Van Gogh. Attendre d'un nouveau bébé qu'il vienne remplacer celui disparu.
Remplacer... Impossible. Et pourtant. L'enfant disparu est souvent idéalisé, fantasmé comme parfaitement gratifiant par les parents endeuillés. Lourde alors est la tâche de l'enfant qui suit, puisqu'il ne peut tout bonnement répondre à cette attente.
Il sera donc souvent:
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soit totalement décevant, et les parents (sans parfois en avoir conscience), vont le délaisser, ne pas l'investir, voire le rabaisser, etc.
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soit totalement idéalisé, mais en tant que remplaçant du premier, pas en tant que lui-même : création idéale parentale mais totalement brinquebalante, puisque reposant sur des fantasmes et surtout, sur des souffrances non exprimées, et donc non intégrées, dépassées...
Quoiqu'il en soit, la difficulté majeure de ces enfants de remplacement est la notion de place et d'identité : « Quelle est ma place, et qui suis-je ? ». Ils se vivent souvent comme de petits fantômes: ni vivant, ni mort.
Dans la réalité que les parents cherchent eux à fuir, l'enfant de remplacement, lui, sent bien la souffrance qui se trame et serre les dents. Alors, où se situer lui ? Dans la réalité douloureuse (celle de ses parents mais aussi la sienne!) ou dans un entre-deux dans lequel il ne pourra se poser et se construire ?
On note souvent chez l'adulte ayant eu ce rôle, une culpabilité à vivre là où l'autre n'a pu le faire. Il va alors la plupart du temps avoir une difficulté à s'octroyer la réussite, mais aussi, tout simplement, la joie de vivre. Ce serait vécu comme insulter celui que les parents pleurent encore...

De l'importance d'accompagner les parents endeuillés
Afin d'éviter que des enfants vivent ce rôle impossible, il est extrêment important d'être très vigilant quant aux parents perdant un enfant en bas âge.
La souffrance extrême qu'ils endurent amène parfois avec elle la tentation de nier l’événement et de « refaire » l'histoire, de la recommencer pour qu'elle ne finisse pas pareil.
Mais chaque être n'a qu'une seule histoire : la sienne. L'inter-changeable n'est pas de l'ordre humain.
Écouter, favoriser la parole, aider à ce que la douleur s'exprime et ne reste engluée. Car même après 3, 4 ans, si le processus s'est retrouvé bloqué, le nouvel enfant recevra malgré tout une part de mission de remplacement. Le temps n'est pas forcément garant de la cicatrisation dans les deuils, contrairement à ce que l'on pourrait croire. Un deuil bloqué, compliqué ou « pathologique » comme on dit, peut perdurer, parfois à bas bruit, des années durant.
Parfois glisser la brochure d'une association spécialisée lorsque l'on sent que l'un des parents ou les deux manifestent des signes de déni, ou parlent de refaire de suite un enfant, peut s'avérer plus qu'utile.
Car lorsque les parents prennent ce temps de deuil, aussi douloureux soit-il, l'enfant qui viendra ensuite ne sera pas de remplacement.
Certes sa venue viendra piquer la blessure encore fraîche de celui qui n'est plus, mais il sera accueilli dans toute sa nouveauté et sa singularité. Non comme un « petit fantôme », mais comme un enfant porteur de VIE, et pleinement en VIE.
Pour aller plus loin
Dali, lui aussi enfant de remplacement, en parle très bien dans cette vidéo de 1961...
http://www.ina.fr/video/I00008168
Sur Vincent Van Gogh:
Découvrir sa généalogie et notamment l'imbroglio des prénoms répétés!
http://www.van-gogh.fr/la-famille-van-gogh.php
Un excellent article approfondi de Laurie Laufer, Psychanalyste, Docteur en Psychopathologie Fondamentale et Psychanalyse, enseignante à l’Université Paris 7 Denis Diderot, Sur Cairn Info:
Pour trouver du soutien:
Liste associations de soutien au deuil, notamment périnatal
Association Apprivoiser l'absence
Lien vers: Le vécu du deuil et de la mort chez l'enfant
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