
Témoignage de NINA
J’ai 33 ans, et j’ai été victime d’abus sexuel par mon grand frère (de 6 ans mon aîné),
de mes 5 ans à mes 10 ans environ.
(Les illustrations sont de NINA)

Cliquer sur l'image pour agrandir
Les abus...
Mes premiers souvenirs remontent à mes 5 ans environ. C'était des attouchements. Je savais qu’il se passait quelque chose d’anormal mais je ne pouvais pas comprendre où mon frère voulait en venir. Ensuite, les souvenirs sont plus espacés, mais ce qui est clair c’est qu’à chaque fois j’étais surprise, déçue de réaliser que mon frère voulait faire ces choses au lieu de jouer avec moi normalement. J’avais peur et je ne savais pas lui dire « non » verbalement. Mon frère, lui, savait très bien ce qu’il faisait et choisissait les moments propices.
Une fois à 7 ans environ, j'étais sur une balançoire, et il se frotte à moi bizarrement. Je descends très vite. Mais un peu après il m'a fait venir dans les toilettes. Il s'est assis sur les wc et s'est mis à me toucher. Plus tard, vers 8-9, mon frère me propose de venir visiter sa cabane. J’y vais assez contente et curieuse de voir cette cabane. Le problème c’est qu'alors que je ne m’y attendais pas du tout il me demande de m’allonger sur une sorte de banc à l’intérieur de la cabane. Et là je sens la déception et l’angoisse monter en moi. Je me suis allongée mais très vite avant qu’il se passe quoi que ce soit il me semble, je me suis relevée sans rien dire et je suis rentrée seule à la maison avec un grand malaise et encore de la déception.
Les souvenirs qui m’ont le plus marqués sont les souvenirs d’une ou deux soirées où mes parents étaient sortis avec ma petite sœur qui a 5 ans de moins que moi. j’avais 9-10 ans.
Mon frère m’a déshabillée, m’a parlé de ma poitrine qui poussait (ce qui n’était pas le cas d’ailleurs), ça m’a mise très mal, et j’ai réalisé où il voulait en venir. Et puis, il m’a demandé que je mette son sexe dans ma bouche, et il m'a fait une pénétration digitale et un cunnilingus. Ce soir là j’étais tétanisée, sidérée, et sûrement dissociée parce que depuis toujours je vois la scène comme de côté, à part à un moment. J’étais incapable de lui dire que ce qu’il me demandait me faisais peur et m’écœurait, j’ai réussi à écourter les choses, c’est tout. Lorsqu’il m’a demandé ce que je préférais entre la pénétration et le cunnilingus, je n’ai pas répondu, j’étais super mal, j’aurais voulu disparaître....
Ces images sont inscrites, incrustées, je pourrais décrire exactement la scène, par contre je ne me rappelle pas des minutes avant et après, ce qui est assez troublant et qui à joué son rôle dans mon sentiment de culpabilité.
Ça a fini par s'arrêter, un jour où il m'a demandé de l'embrasser en mettant la langue. J’ai été tellement surprise et à la fois dégoûtée qu’il a dû le lire sur mon visage, et là il m’a fallu une fraction de seconde pour qu’un grand NON sorte de ma bouche et sans même y réfléchir j’ai tracé en direction de ma chambre, chamboulée et en colère.
Après cet événement il ne m’a plus rien demandé.
Avec le recul, j’ai le sentiment que mon frère m’impressionnait beaucoup, j’ai gardé le silence par loyauté et surtout par honte et sentiment de culpabilité. De mes 11 ans à mes 13 ans j’ai eu de grosses crises de larmes et d’angoisse que j’étouffais seule dans mon oreiller, je comprenais ce qu’impliquait tout ça et j’en souffrais énormément. Je pense aussi que j’ai gardé le silence parce que le couple de mes parents n’était pas toujours au beau fixe, et ils n’auraient pas su m’aider, et puis le mal était fait...
L'ambiance familiale...
Il y avait un climat « incestuel » à la maison, surtout à travers certains comportements de ma mère. Mon père qui était tout le temps devant son ordinateur n’en est pas moins responsable. Il n’y avait pas d’images ou de paroles sur la sexualité, hormis un livre « éducatif » pour les enfants que j’ai toujours trouvé tordu, avec des images de parents et enfants nus dans leur salle de bain. Chez nous les portes n'étaient pas verrouillées, et ma mère pouvait entrer dans nos chambres sans frapper jusqu'à la fin de mon adolescence. La nudité de ma mère en sortant de sa douche alors qu’elle voyait qu’à un certain âge ça nous gênait, des bains avec elle et ma sœur jusqu'à peut-être 8-9 ans. Des souvenirs d’être passée devant la TV avec des scènes assez osées sans que ça gène mes parents. Une mère abusive de différentes manières sans passer à l’acte. De nombreux souvenirs ou j’étais réveillée en pleine nuit par les bruits de mes parents faisant l’amour et le lendemain, on en parlait avec ma sœur et aussi mon frère une fois. Ma mère « criait » super fort comme s’ils étaient seuls dans la maison, heureusement c’est arrivé quelque fois c’était pas courant, mais assez traumatisant et perturbant, surtout quand on est pré-ado et qu’on a vécu ce que j’ai vécu.
Cliquer sur l'image pour agrandir

En parler ?
Au départ j'ai voulu en parler en écrivant dans mon journal, vers 11/12 ans, mais j'avis trop peur que quelqu'un tombe dessus. J'en ai parlé à des amies au collège, mais elles ne pouvaient pas faire grand chose. Je n’envisageais pas d’en parler à mes parents ou d’autres adultes, je n’avais pas confiance, j’avais honte, c’était trop intime pour en parler. Et même si je détestais mon frère j’avais peur de lui causer des problèmes, j’avais honte pour lui, en gros je le protégeais même si c’était pas vraiment conscient.
Ce n'est qu'à 24 ans, qu'un jour, j'ai décidé d'aller consulter. Au CMP que j'avais trouvé, il y avait un service de victimologie. J'y vais encore, et ça m'aide beaucoup, même si le chemin est long.
J'ai beaucoup évité les contacts avec ma famille. Personne ne comprenait pourquoi je restais loin de tout le monde, pourquoi je ne donnais pas de nouvelles, je ne parlais pas à mon frère etc, mais personne ne me demandait pourquoi...
J'ai eu à en parler sans vraiment le vouloir. Une fois ma mère m'a demandé le pourquoi de ma colère envers mon frère : « il t’a dit quelque chose de mal ? il t’a fait du mal physiquement ? quelque chose de sexuel ? » (je ne me rappelle pas bien des tournures de phrases) et je me suis trouvée coincée : il a fallu que je ne réponde pas assez vite à une question pour qu’elle comprenne. J’étais super mal, je ne m’attendais pas à lui en parler, je n’étais pas prête. J’ai pas donné de détails juste qu’il s’était passé des choses quand j’étais enfant. Elle a fait mine de pleurer 2,3 larmes et m’a dit qu’elle était désolée... On n'en a pas reparlé.
Puis quelques années après mon père a débarqué un jour et, parlant de ma sœur il m'a dit : « tu te rends compte elle est allée jusqu'à accuser votre frère d’inceste, c’est très grave ça peut aller jusqu’au tribunal ! ». Je lui ai demandé qui lui avait parlé de ça, il s’est mis à bafouiller, à me dire qu’il ne savait plus, que ma sœur lui a dit au moment du divorce, puis que « quelqu’un » lui a dit par téléphone, puis qu’il ne savait plus…
J'en ai parlé à ma sœur. Elle n'a pas été victime, et ne savait pas pour moi. Elle comprenait enfin cette distance que je mettais avec la famille, et dont elle souffrait.
Mais ça n'a pas changé grand chose... Car ma mère, ma tante et mon père avaient tous des contacts avec mon frère comme si de rien n'était. Mon père voyait souvent mon frère et je suis certaine qu’il ne lui en a jamais parlé.
Quant à mon frère, je lui ai écrit une lettre, et je la lui ai remise en mains propres. Il ne comprenait pas : je lui ai dit que ça le concernait lui et moi seulement, et je suis partie.
Depuis pas de nouvelle, et quand quelques mois plus tard, par message, je lui ai demandé s'il avait bien lu ma lettre, il ne m'a pas répondu, et depuis rien...
Les répercutions sur ma vie...
Des blocages, des dépendances (tabac, cannabis que j’ai arrêté il y a 2 ans), de la solitude, la tristesse, une mauvaise image de moi-même, de l’auto-destruction, des prises de risque, de la honte, du désespoir, de la désillusion, des insomnies, de l’hypervigilance. J’avance mais c’est un long parcours difficile, parce que ça s’immisce partout...
Et enfin c’est la perte d’un frère. Dès qu’il est passé à l’acte il a détruit ce lien qu’on aurait pu avoir, il m’a enlevé mon grand frère. Ce qui me fait le plus mal avec du recul, c’est le fait qu’un être cher ait abusé de moi, me démontrant que je ne valais pas grand chose à ses yeux.
J’ai accepté de témoigner parce que je pense que c’est nécessaire pour que la société prenne conscience du mal que ça fait aux enfants et aux adultes qu’ils deviennent. Il en faudra des années pour faire baisser les chiffres, et je suis certaine que c’est en témoignant qu’on peut participer à la prévention. D’autre part lire le témoignage d’une autre victime, même si c’est jamais complètement les mêmes histoires, ça sort du sentiment d’isolement et du sentiment de honte qui nous empêche injustement de vivre...
Un immense MERCI à NINA...;-)