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Touche-pipi ou... plus touche-pipi ?

Quand ils surprennent leurs enfants en train d'avoir des gestes sexualisés, beaucoup de parents sont souvent perplexes et très gênés, ne sachant si c'est normal ou pas, embêtant ou pas. Ils ne savent pas trop comment réagir non plus, et certains peuvent dramatiser là où il n'y a rien de grave ; d'autres en revanche banaliser là où il y aurait lieu de s'inquiéter...

Quelle sont les différences entre les jeux sexuels spontanés et normaux chez les enfants, et ce qui n'en relève pas, ou plus, et peut parfois devenir abus ? 

Un sujet qui dérange

Bien que le sujet reste encore tabou en France, différents pays dont les Etats-Unis, l'Angleterre ou encore l'Australie ont commencé à étudier les abus sexuels entre enfants depuis plusieurs années déjà, et notamment les incestes dans la fratrie. Or, il ressort de ces études que ce type d'incestes serait plus fréquent que l'inceste parent/enfant... Cela pointe l'importance d'être attentifs à cette question, et cela laisse par ailleurs imaginer le nombre de victimes, laissées pour compte la plupart du temps. Car malgré les chiffres affligeants, le silence perdure autour de cette épineuse question...

Épineuse, car les repères deviennent flous lorsque l'on parle d'abus entre enfants : lorsqu'un adulte abuse un enfant, on identifie bien l'agresseur : dans l'esprit des gens, le côté abusif est évident (quoique de nos jours le débat continue...)

Quand c'est un enfant en revanche, les choses se troublent : on a du mal à imaginer qu'un enfant puisse abuser d'un autre enfant, alors on banalise par le fameux « touche-pipi » : tous les enfants font ça ! Certes : mais il y a des touche-pipi qui ne le restent pas, et peuvent tout simplement tourner au cauchemar...

Quand c'est OK

Tous les enfants ont un développement psycho-sexuel qui passe par différents stades. Et au cours de ces stades nous retrouvons ce fameux « touche-pipi », puis le plus élaboré « jeu du docteur » pour citer les plus connus. Lorsque tout se passe normalement, ces explorations sexuelles se font sous la forme du jeu justement. « On va jouer au papa et à la maman », ou « on va jouer à je te montre mon zizi et tu me montres ta zezette ! », etc. Or, une des trois conditions fondamentales pour pouvoir parler de JEU est la participation spontanée, active et consentante de chacun des partenaires. Nous sommes donc dans des jeux normaux d'exploration sexuelle lorsque chaque enfant est co-acteur du jeu. Si l'un oblige à jouer, le jeu disparaît aussitôt.

Face à ces comportements naturels, les parents doivent poser un cadre sécure et épanouissant pour l'enfant, afin que ce dernier apprenne à moduler ses façons de traduire sa curiosité sexuelle, et les limites à ne pas franchir : inceste, respect du non désir de l'autre et de l'intimité, etc. Pointer que l'envie de savoir est normale, naturelle, mais qu'on ne peut le faire avec son frère ou sa sœur, et qu'on ne peut le faire avec un camarade qui n'a pas envie. Expliquer pourquoi on ne peut pas dans ces cas-là (famille et ami non consentant). Proposer des livres éducatifs sur le sujet, des espaces de dialogue, pour que l'enfant sente qu'il peut poser des questions s'il en a envie. (Ne jamais expliquer cependant des choses de la sexualité sans que l'enfant ne le demande ! Il faut le laisser aller à son rythme à lui : c'est sa sphère intime, donc pas d'intrusion inadaptée !)

Malheureusement, bien des enfants ne bénéficient pas de ce cadre propice au bon développement de leur sexualité, et se retrouvent dans des situations de comportements sexuels inadaptés, voire de véritables abus desquels la plupart du temps aucun adulte ne vient les sortir.

Quand toucher n'est plus jouer...

Différents facteurs peuvent amener un enfant à abuser dans sa fratrie ou parmi ses pairs : souvent, le manque d'investissement et d'attention des parents, voire une défaillance parentale avérée. Parfois, l'enfant a été lui même victime d'abus, que celui-ci soit physique ou sexuel, mais aussi psychologique...

Les dysfonctionnements psychologiques dans les transactions familiales (enfant mis en position d'adulte/conjoint d'un des parents par exemple, ou enfant roi préféré à qui l'on n'interdit rien) et bien d'autres facteurs peuvent faire le lit d'un passage à l'acte abusif.

Souvent aussi, et de plus en plus de nos jours, une exposition à du contenu pornographique à un âge de développement psychologique inadapté peut littéralement faire « déborder » l'enfant, qui, ne pouvant contenir le malaise psychique ressenti va avoir besoin d' « agir » ce qu'il a vu sur un autre.

L'abus a donc lieu lorsque l'un des enfants oblige l'autre, de façon directe ou tacite (manipulation, chantage, menace, utilisation de sa position dans la famille, etc), à se soumettre à des pratiques sexuelles non souhaitées et/ou inadaptées à l'âge de l'enfant. On comprendra donc aisément que l'on parle d'abus lorsqu'un frère de 10 ans demande à sa sœur de 8 ans de lui « lécher » le zizi en lui faisant croire que c'est un jeu et que c'est normal. Parler de « touche pipi » dans ce cas est un déni parfaitement inacceptable!

D'une manière générale, et pour mieux s'y retrouver, toute situation où :

  • il y a un décalage entre l'acte sexuel réalisé et le degré de développement psycho-sexuel de l'enfant. (Exemple d'un enfant de 4 ans qui veut mettre son zizi dans les fesses d'un autre, ou le lui lécher)

  • l'acte se répète dans le temps et/ou augmente en fréquence malgré, lorsqu'il a lieu, le recadrage des parents. (Différentes études donnent des durées d'abus dans la fratrie d'en moyenne 4/5 ans!)

  • il y a utilisation de la contrainte ou de la violence pour parvenir à ses fins,

doit absolument alerter et faire réagir ! De même, un enfant qui manifeste un comportement sexuel inapproprié (comme une masturbation compulsive), même sans avoir abuser un autre, doit retenir toute l'attention car c'est un enfant qui d'une façon ou d'une autre est confronté à un dysfonctionnement de son développement psycho-sexuel (au sein de sa famille ou de son entourage : école, activité extra-scolaire etc), et qui peut du coup, « malgré lui », finir par avoir un comportement abusif sur un autre enfant...

Témoignage de NINA 

NINA a eu la gentillesse de bien vouloir témoigner et accepter

de partager 2 dessins qu'elle a réalisés... Merci à Elle.

Par ici

Conséquences de ce type d'abus

Ce déni engendre une souffrance à long terme chez les victimes d'inceste dans la fratrie et d'abus sexuels entre enfants que nous retrouvons, pour celles qui osent sortir du silence, dans nos cabinets en ville. Or, on note avec les différents chercheurs que les conséquences sont les mêmes que les victimes d'incestes parents/enfants ! Le psycho-traumatisme à l'oeuvre engendre les mêmes mécanismes (figement, dissociation, mises à distance des ressentis et émotions, etc) et les mêmes symptômes : dépression, angoisses, troubles alimentaires, comportement à risque, troubles sexuels, addiction et tant d'autres encore...
 

Mais la spécificité des abus entre enfants et surtout de l'inceste frère/sœur que l'on peut noter est le rejet (familial mais aussi sociétal donc!) que les victimes subissent, et qui prend la forme d'une double peine: d'une part elles ont subi un abus, mais de plus, comme la situation dérange le petit équilibre familial, elles se font mettre de côté, de façon détournée souvent, et reléguer au rang d'enfant « qui fait des montagnes de pas grand chose »...Voire qui raconte des histoires.

L'enfant agresseur lui n'est souvent pas remis en cause et garde sa place intacte dans une écrasante majorité des cas. Ce qui ne fait qu'accroître la douleur psychologique ressentie par la victime qui, en présence de ses proches, revit en permanence l'injustice de la situation. Nombre de ces victimes sont alors amenées, pour se protéger, à couper les ponts d'avec un ou plusieurs membres de leur famille. La souffrance associée à l'isolement ne rend alors leur parcours que plus difficile à vivre.

Que faire pour éviter cela ?

Face à cette réalité qui dans de nombreux cas pourrait être évitée :

* il est urgent de sortir du déni et de regarder en face les faits étudiés et relayés par de nombreux pays déjà, c'est à dire accepter l'idée qu'un enfant puisse, pour différentes raisons, bel et bien abuser d'un autre, de s'en servir sexuellement pour essayer de décharger ses problèmes et souffrances psychologiques.

* être attentif (sans être intrusif) aux enfants au moment de leur découverte de la sexualité, et de leur envie d'explorer la question. Sur ce point, tout changement de comportement à priori « inexpliqué » chez l'un de vos enfants (repli sur soi, pleurs, peur d'aller dormir (surtout quand frère et sœur dorment dans la même chambre) anxiété, nausées etc, doit vous faire explorer l'origine du problème. Et, si celui-ci ne relève pas des causes « classiques » (problème à l'école, réaction au décès du grand-père, au divorce etc) il est important de vérifier qu'il ne s'agit pas d'un problème de ce type. On peut alors poser avec tact des questions comme : « quelqu'un t'a fait des choses que tu ne voulais pas ? Quelqu'un de dehors ou de la famille ? », « il s'est passé quelque chose et quelqu'un t'a demandé de ne rien dire sinon il allait faire quelque chose ? Si c'est le cas, tu sais, il ne faut surtout pas obéir car on n'a pas le droit de demander de garder un secret si c'est un secret qui fait du mal, qui te rend malheureux(se), même si c'est quelqu'un tu connais très bien. ».

 

il faut que les parents et autres adultes entourant l'enfant se rendent compte qu'oser voir qu'il y a un problème lorsque c'est le cas, et faire appel à un professionnel pour être accompagné et agir au mieux, c'est être un parent(adulte) bienveillant : fermer les yeux et laisser l'enfant victime (mais aussi l'enfant abuseur !) dans ce lien toxique et traumatique, c'est de la non-assistance à enfant en danger.

 

* Lorsqu'on peut intervenir tôt, et donc faire cesser le comportement sexuel inadapté voire donc abusif, les enfants peuvent se réparer et ne pas se retrouver à l'âge adulte avec de profondes souffrances psychologiques.


 

Tout l'art consiste donc à être attentif à d'éventuels signes de souffrance chez l'enfant qui pourraient venir pointer l'existence de ce type d'abus, et à chercher des informations et conseils si l'on a un doute sur un comportement. Car plus renseigné on est, et plus on est à même de pouvoir déceler ces situations et d'y remédier. 

Cela sauvera bien des fratries qui finissent souvent par éclater lorsque des abus de ce type ont eu lieu...

©cestpsysimple.mars2018

Pour aller plus loin:

"Quand toucher n'est plus jouer: inceste frère/sœur et abus sexuel entre enfants", Anne Schwartzweber. disponible sur Amazon

Lien vers: Témoignage sur l'inceste frère/sœur

Lien vers: Le développement de la sexualité chez l'enfant

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