
Le développement de la sexualité
chez l'enfant
Et oui, il y a bien dans la même phrase le mot « enfant » et le mot « sexualité ». Car l'enfant n'est pas ce petit angelot asexué que certains imaginent. Pour arriver à l'âge adulte avec une libido prête à s'exprimer dans son plein potentiel, il faut bien que cette même libido se soit construite et développée! C'est cette grande aventure de l'enfant que nous allons explorer ici... *
Les flots de Dame Libido !
La pulsion sexuelle (qu'on appelle « libido ») se construit au fil du développement psychologique et physique de l'enfant. La nature étant bien faite, il y a une sorte d'harmonie naturelle entre son âge de développement affectif et la façon dont il va faire l’expérience concrète du champ de sa sexualité.
La libido est un formidable réservoir d'énergie, une sorte de moteur qui va, étape par étape, propulser l'enfant sur le chemin de son grandir et de son devenir, à soi-même et au monde. Pour mieux comprendre comment se développe Dame Libido chez l'enfant, nous allons la comparer à un fleuve. Ce « fleuve libido », qui prend sa source au plus profond de l'être, va tout naturellement chercher à grandir, mais aussi à se ramifier, se diversifier. Pour se faire, il va d'abord lui falloir explorer les paysages environnants ! Ici, il va s'agir des différentes zones du corps de l'enfant.
Alors à vos kayaks et pagaies pour une descente du fleuve libido, de sa source à l'océan !
Je kiffe ma bouche, ou la « phase orale » !
La « phase orale » concerne les tout premiers temps de la vie de l'enfant, lorsque la bouche est chez lui la zone privilégiée de ses expériences et de l'expression de son désir de vie.
Lorsqu'il a faim, bébé va ressentir une tension intérieure : le manque va amener une sorte d'excitation, qui va se trouver soulagée lorsque le sein de sa mère ou la tétine du biberon va entrer en contact avec sa bouche. Lors de la tétée, il ressent alors un profond plaisir, un sentiment de plénitude. En gros, ça va mieux, et il kiffe ! La bouche est ainsi la zone corporelle par laquelle arrive le soulagement et le bien-être. Bébé va donc peu à peu associer « bouche » à « plaisir ».
Au fur et à mesure qu'il grandit, la bouche va aussi être pour lui le lieu d'autres activités qui vont générer tout autant de plaisir : mordre, sucer, babiller... Bref, elle est à ce stade le lieu privilégié de ses investissements. C'est pourquoi bébé met tout à la bouche ! C'est à la fois sa façon de « toucher » le monde qui l'entoure (car il n'a pas encore le plein contrôle de ses mimines!) mais aussi et surtout une manière d'auto-stimuler cette zone pour avoir sa dose de plaisir.
En effet, stimuler lui-même cette zone (avec son pouce par exemple) est pour bébé une façon de réveiller et réactiver le « souvenir » du plaisir-satisfaction éprouvé lors de la tétée, et ce, notamment lorsqu'il est confronté à un ressenti de manque, un vide.
Exemple : maman est partie dans la cuisine. Bébé, seul, ne se sent pas au top ! Il met son pouce ou son doudou à la bouche et le tète frénétiquement : cette stimulation orale réveille alors la trace mnésique (le souvenir quoi!) de la sensation du sein (ou du biberon), « rappelle » le plaisir, et ça le réconforte.
À force de répéter ces expériences, l'enfant va commencer à se les représenter dans un coin de son cerveau. Il va en construire une sorte d'image mentale qui lui permettra peu à peu de provoquer la sensation de plaisir recherchée en l'absence de l'objet qui l'a procurée au départ. Il n'aura donc alors plus forcément besoin de passer par la stimulation corporelle : lorsqu'il réveillera l'image en lui, cela provoquera les sensations associées à l'expérience initiale : le kiff!
Le développement moteur se faisant, l'enfant va commencer à se servir de ses mains et du reste de son corps pour se déplacer afin d'explorer le monde qui l'entoure. Or, dans ce monde, il y a aussi son propre corps !

Pipi, Caca et moi, ou la « phase anale » !
C'est le moment où l'enfant va découvrir le « pipi-caca » et sa capacité naissante à contrôler ces derniers ! Il va découvrir également qu'il y a un certain plaisir physique au fait d'uriner ou de déféquer. Et à cela va s'ajouter le plaisir de réaliser que ces activités corporelles procurent aussi une autre satisfaction : celle du sourire ravi de ses parents devant les acquis de leur progéniture en matière de propreté !
A cet âge donc, la zone corporelle où les excitations et tensions vont le plus appeler l'enfant sont les parties génitales et le sphincter. Il est ainsi logique qu'à cette période de son développement l'enfant explore ces zones de son corps. Il découvre par où sort le pipi, découvre aussi qu'il a y un truc marron qui sort de ses fesses, bref : tout cela éveille forcément sa curiosité ! Il va alors bien évidemment se mettre à toucher toute cette zone, et, ce faisant, va s'apercevoir que cela suscite telle ou telle sensation physique qu'il ne connaissait pas encore et qui provoque une sorte d' « excitation - tension - plaisir » physique.
Ces sensations physiques lui procurent donc un plaisir. Mais précisons bien : nous sommes ici dans une logique de stimulus-réponse. En effet, pour pouvoir bien comprendre la sexualité de l'enfant il faut oublier les représentations que l'on en a adulte. Le plaisir ici est ressenti comme une réaction du corps à un geste de toucher. Mais l'enfant n'a pas de représentation intellectuelle de la sexualité comme l'adulte. Nous sommes ici dans le sensitif pur : quand je touche là, ça fait dans mon corps quelque chose que je trouve bon. Je cherche donc à répéter à nouveau ce plaisir et à voir s'il y a d'autres façons de provoquer le même plaisir. Ou d'en découvrir de nouvelles !
C'est pourquoi, dès l'âge de deux ans environ, il n'est pas rare de voir un enfant se toucher le sexe de façon répétitive ou parfois même se frotter contre un nounours. Cela arrive souvent au moment du coucher, pour relâcher les tensions de la journée, ou tout simplement pour générer une sensation agréable et donc du plaisir. Cela peut se traduire par des érections pour le garçon et des excitations du clitoris pour la fille. Cela est totalement normal !
Zizi et zezette se font risette, ou le « stade phallique » !

C'est ensuite à la période dite « phallique », qui précède le fameux « Œdipe », que l'enfant va explorer davantage la sexualité. Lors de cette période, (qui débute vers deux ans et demi environ) l'enfant prend conscience de la différence des sexes. Il réalise que garçons et filles ne sont pas faits pareils, et ceci, forcément, l'intrigue beaucoup. Quoi de plus normal alors que de vouloir en savoir plus sur la question !
Or, en savoir plus chez un enfant, ce n'est pas aller sur Wikipédia ou consulter un livre comme chez l'adulte, mais c'est aller explorer par soi-même l'objet de sa curiosité : son sexe, et celui de l'autre ! C'est ici que s'amorce donc la période propice au jeu du « montre-moi ta zezette et je te montrerai mon zizi ! » L'enfant veut voir comment c'est fait, ce qu'il y a de différent. Ce faisant, il commence à prendre conscience de son genre et donc de son groupe d'appartenance : « Moi j'ai un zizi comme papa » ou « Moi je suis une fille comme maman, parce que j'ai une zezette ». Il va ainsi se rattacher à son groupe sexuel auquel il va pouvoir peu à peu s'identifier, et qui va lui servir d'inspiration et donc de moteur pour grandir et se construire comme être sexué. Il va en explorer les attributs, les codes, et les spécificités.
C'est aussi la période où, liée à cette découverte de la différence des sexes, va se poser la question de l'origine des bébés. L'enfant sent bien qu'il se passe quelque chose de fondamental là-dedans ! « Comment on fait les bébés ? Par où ils sortent ? Papa, il peut avoir un bébé dans son ventre ? », etc. Autant de questions qui témoignent donc de l'énorme intérêt pour la sphère génitale et ses fonctions à cet âge de la vie de l’enfant.
Aussi, rien d'étonnant en pratique à ce que des enfants de cet âge se touchent le corps et notamment le sexe : dans le bain, dans la chambre ou ailleurs, ils répondent à leur besoin de savoir. Ils cherchent des réponses aux multitudes de questions qu'ils se posent sur cette partie du corps et son univers. C'est souvent avec un enfant proche, dans un lien affectif sécure, que l'enfant va s'adonner à ce jeu de la découverte. Un frère, une sœur, une cousine, un camarade de classe. Rien d'alarmant ici : c'est un comportement spontané très fréquent, qui va souvent se manifester à travers le fameux « jeu du docteur », jeu d'exploration pour voir comment c'est fait ce corps ! Ici, l'enfant cherche donc principalement à assouvir sa soif de connaissance concrète sur le corps sexué (le sien et celui de l'autre).
Il y a bien sûr une dimension excitante à découvrir ces sexes différents : l'enfant sent bien que ces derniers ont l'air de posséder quelque chose de particulier, de spécial par rapport aux autres zones du corps, vu qu'il se rend compte que les adultes autour de lui commencent à lui spécifier qu'on ne le montre pas devant tout le monde, qu'on ne le touche pas devant des gens, bref : qu'il y a des règles, des limites.
Ce soir je serai la(le) plus belle(beau), ou le « stade Œdipien » !

Au moment de l’Œdipe, l'enfant va être dans un double mouvement : d'un côté, une identification au parent du même sexe (envie de faire pareil, d'avoir les mêmes attributs, etc) et de l'autre, l'envie de prendre la place de ce parent auprès du parent de l'autre sexe.
Ce désir de prendre la place est à entendre comme un désir d'exclusivité : celui d'être le préféré du parent du sexe opposé et d'obtenir les mêmes privilèges auprès de celui-ci que le parent du même sexe. En effet, l'enfant se rend bien compte que ce parent-là a une place particulière auprès de l'autre : il a des bisous sur la bouche, il dort dans le même lit, etc... Ce sont toutes ces choses auxquelles l'enfant n'a pas accès qu'il va se mettre à désirer. Et qu'il va traduire par les fameux « Moi plus tard je serai l'amoureuse de papa », ou bien « Maman c'est une princesse et c'est moi qu'elle aime comme prince ! »
Dans son élan d'identification, nous allons retrouver à cette période le jeu du « on va jouer au papa et à la maman ! », caractéristique de cet âge. Jeu où l'enfant va imiter les adultes.
Les filles s'imaginent déjà grandes et s'habillent en princesses pour être belles aux yeux de papa. Les garçons, eux, veulent faire les activités que papa fait. Il arrive donc que pour imiter leurs parents, ils s'essayent à quelques bisous sur la bouche, pour faire « comme les grands »...
Face aux règles du fonctionnement familial et à la loi de l'interdit de l'inceste que les parents doivent poser (« Papa a déjà une amoureuse, tu ne peux pas être mon amoureuse, car je suis ton papa. Ton frère(ta sœur) non plus ne peut l'être car à part papa et maman, on n'a pas le droit d''être des amoureux dans notre petite famille ! Il faut aller découvrir dehors qui sera celui dont tu auras envie d'être amoureuse(x) »), l'enfant, confronté à la frustration de son désir œdipien va peu à peu délaisser celui-ci pour aller s'intéresser à ses pairs. Renonçant à l'objet inaccessible de son désir, il va orienter ce dernier sur un nouvel objet : la découverte du monde extérieur et notamment de sa classe d'âge ! Nous entrons alors dans la période dite de latence.
Touche pas à mon amoureux(se), ou la « phase de latence » !

Au sortir de la période œdipienne, l'enfant va vivre ce que l'on appelle la « phase de latence » (qui démarre vers 5/6 ans environ). Lors de cette période, l'enfant s’intéresse moins aux éléments physiques de la sexualité qu'aux rôles et aux attributs de son genre. Il commence à construire son identité sexuelle dans ce qu'elle a de spécifique socialement, et va chercher les moyens d'affirmer celle-ci, voire d'en asseoir la primauté : les garçons vont préférer jouer entre eux, parce que « les filles c'est nul ça fait que pleurnicher », et les filles vont prendre plaisir à se retrouver entre elles, parce que « les garçons c'est bête » !
Cela n'empêche pas l'éclosion des premières amours, mais celles-ci s'inscrivent davantage dans l'univers des sentiments et l'élaboration d'un lien privilégié et exclusif, que dans l'exploration sexuelle du corps de l'autre comme au stade phallique par exemple.
L'enfant se détache donc du besoin de satisfaction immédiate de sa pulsion sexuelle pour en explorer les composantes sentimentales et émotionnelles, et les inscrire dans un lien privilégié. Il élabore ses ressentis, ses désirs, en tissant peu à peu des relations affectives plus approfondis, aux sentiments plus nuancés et diversifiés. De plus, du fait du travail à l’œuvre en matière d'identification, l'agir pulsionnel passera davantage par la tendresse et l'éclosion du sentiment amoureux : se tenir par la main, défendre son amoureux(se), offrir des petits cadeaux, etc.
C’est également le temps de la socialisation, des jeux de groupes avec des règles (favorisés par le cadre scolaire), des apprentissages, toutes ces activités permettant à l'enfant d'évoluer dans un monde organisé qui lui apporte des repères stables et donc une sécurité. Il apprend alors que pour vivre en groupe, il y a des lois à respecter, et qu'il faut accepter que chacun ait une place et des désirs propres.
Corps ô mon corps, ou l'adolescence !

Puis viendra ensuite le temps de l'adolescence, qui va réactiver toutes les pulsions sexuelles vécues antérieurement, mais avec une nouvelle donne : la puberté ! Soit le passage progressif du corps d'enfant à celui d'adulte.
Ici, notre « fleuve libido » s'agite, et le débit plus fort le rend plus violent. Les pulsions sexuelles s'activent fortement. Elles viennent tambouriner, mais se heurtent souvent à une image de soi perturbée par les modifications corporelles. Le désir assaille, mais lui trouver un exutoire est compliqué, du fait notamment de la timidité souvent présente à cet âge.
L'adolescent se met à être hyper pudique, essaye de cacher ses formes, ou au contraire, surjoue sa féminité ou sa masculinité. Dans un cas comme dans l'autre, c'est souvent pour mieux cacher le corps sexué tel qu'il est réellement vécu : un corps qui dérange (du fait qu'il se modifie sans qu'on puisse contrôler ce changement) mais qui fascine tout à la fois (du fait qu'il offre de nouvelles possibilités de satisfaction !).
C'est alors souvent le temps de la masturbation, qui permet à l'adolescent d'apprivoiser son sexe sous une forme plus sexualisée et aboutie qu'enfant, et de se familiariser ainsi avec les nouvelles sensations physiques provoquées par son développement physiologique (éjaculation notamment, qui peut survenir dès 11/12 ans environ).
Il va aussi chercher dans le monde extérieur de nouvelles informations sur la sexualité. Échanger avec les copains, consulter une revue pornographique, aller sur Internet etc. Il va enrichir sa représentation « mentale » de la sexualité et en explorer de nouveaux paramètres : la séduction et les fantasmes notamment.
Soulignons ici un point important. Devant le flot de stimulations et sollicitations sexuées auquel un adolescent d'aujourd'hui est confronté (films, clips et magazines prônant le porno-chic et autres comportements hyper-sexualisés), il va devoir essayer de trier et organiser toutes ces données pour se construire un mode de relation à la sexualité qui lui convienne. C'est pourquoi, à l'heure actuelle, les adolescents ont besoin plus que jamais de pouvoir recevoir des différents adultes qui les entourent des grilles de lecture pertinentes et protectrices de tous les contenus sexués auxquels ils sont soumis. Le dialogue et l'échange vont ici avoir un rôle primordial.
Ensuite, la barrière de la timidité franchie, il y aura les premiers baisers, les premiers flirts, et le premier rapport sexuel. Au gré de toutes ces premières fois, l'enfant devenu adolescent aura œuvrer à son entrée dans le monde de la sexualité sous sa forme adulte.
* Extrait revisité du livre " Quand toucher n'est plus jouer : Inceste frère/sœur et abus sexuel entre enfants ".
Anne Schwartzweber. Createspace. Amazon. 2017.
Lien vers: Œdipe, mais de quoi parle-t-on?
Lien vers: Touche-pipi, ou pas touche-pipi?
©cestpsysimple.dec2017